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Alexandre et Nolwenn autour du monde
12 mai 2019

Yakushima, la mémoire de la forêt ancestrale

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Située au large de l'extrême pointe sud de Kyushu, l'île de Yakushima, que nous rêvions de visiter tous les 2 s'annonçait comme un des moments forts de notre séjour au Japon. Ce morceau de terre d'apparence insignifiante par rapport aux quatre îles principales de l'archipel nippon avec seulement 505 km2 de superficie (soit environ 3 fois la taille de l'île d'Oléron) recèle un trésor naturel : ses forêts de yakusugi, vénérables cèdres japonais pluri-millénaires qui font preuve d'une vitalité mystérieusement inégalée en-dehors de l'île. La situation isolée de Yakushima les protégea de l'exploitation jusqu'au début de l'ère Edo, où leur statut de divinités finit par être brisé sous l'impulsion d'un moine confucianiste, permettant au clan dominant de Kyushu de profiter de cette véritable manne. Cependant, malgré le lancement d'un plan de coupes massives, les conditions d'exploitation très dures dues au relief de l'île et à la difficulté de couper de tels arbres avec des moyens réduits (l'abattage se faisant à la hache jusqu'à l'introduction de la tronçonneuse dans les années 50) empêchèrent leur destruction totale, et les forêts des parties hautes de Yakushima furent globalement bien préservées.

8 février 2019
Yakushima possède un aéroport, mais nous avons la chance d'être déjà à Kagoshima, d'où on peut atteindre l'île en 4h de ferry (pour environ 9000¥ AR/pers) ou 2h pour les pressés et les fortunés grâce à l'express munis d'hydrofoils qui coûte 2 fois plus cher. 
Nous avons quelques appréhensions car malgré le climat semi-tropical de l'île, les chutes de neige ne sont pas exclues en février sur les hauteurs. Le site météorologique que nous avons consulté quelques jours plus tôt nous annonçait un inquiétant -7°C ! Heureusement, les données en question proviennent selon toute vraisemblance d'une station située au sommet de l'île (qui culmine tout de même à 1935m d'altitude) car il ne fait pas moins de 10°C au moment de débarquer au port de Miyanoura.

DSC07651Premier aperçu de l'île

DSC07649Fou brun : se nourrit principalement de poissons volants, qui abondent dans cette zone

DSC07653On dirait le ferry pour aller dans les îles dans Pokémon, non ?

Nous effectuons un rapide passage au Yakushima Environmental and Cultural Village Center, situé à 2 pas des quais du ferry, où nous demandons un débriefing sur les conditions dans l'intérieur de l'île, recevons des cartes et achetons deux pass 3j de bus. L'employée est rassurante mais omet d'attirer notre attention sur le fait que le trajet jusqu'à Arakawa (d'où part l'itinéraire le plus célèbre de l'île) n'est pas couvert par le pass, car il est assuré par une compagnie de bus différente. Derrière nous au guichet, un randonneur japonais s'immisce dans la conversation en nous entendant parler français entre nous. Il parle très bien mais nous n'échangeons pas plus que quelques mots, il nous faut encore faire quelques courses alimentaires et attraper le bon bus pour rejoindre l'hébergement que nous avons réservé sur booking pour 3 nuits. Le propriétaire est un original qui a tout quitté de son ancienne vie urbaine à Fukushima pour venir habiter ici. Il a installé 2 yourtes sur son terrain qu'il loue pour un prix dérisoire (nous avons payé environ 12000¥ pour 3 nuits). Il ne parle pas un mot d'anglais mais réussit à se faire parfaitement comprendre grâce à Google traduction qui l'accompagne partout via son téléphone. Il arrive même à faire des blagues avec, souvent gênantes mais au fond, il est très gentil. Dès notre arrivée il nous conseille sur notre rando du lendemain et nous donne cartes et horaires de bus. Il se propose de nous commander des bentos et nous dépose à un restaurant de pêcheur où nous avons gouté du poisson volant.
9 février
La nuit à été courte : à 4h du matin, nous sommes déjà sur pied et quittons notre yourte dans la pénombre pour prendre le premier bus de la journée à moins d'1km de là. Coup de chance, nous avons sur nous assez de liquide au moment de découvrir que notre pass n'est pas valable. À bord, nous rencontrons à nouveau le Japonais de la veille. Il travaille à Paris depuis près de 20 ans, d'où son excellent français, et c'est également sa première visite de l'île. Plus étonnant encore, c'est un amateur d'escalade, et il passe souvent une partie de ses week-ends à... Fontainebleau ! Autant dire qu'il y a de fortes chances qu'ils se soient déjà croisés plus d'une fois avec Alex. Quelle coïncidence à l'autre bout du monde :) Il voyage seul, et nous avons les mêmes objectifs de visite pour la journée, alors nous ne voyons pas d'inconvénient à randonner ensemble.

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Ceints de nos frontales, nous nous lançons donc tous les 3 dans la nuit noire à travers tunnels et ponts sur l'ancienne voie ferrée d'exploitation forestière, un début mémorable pour cette rando hors du commun de plus de 10h. Marcher sur les rails ne rend pas la progression des plus aisées et la traversée des ponts est particulièrement dangereuse dans l'obscurité car il n'y a pas de garde fou (frontale absolument obligatoire), mais l'immersion dans l'ambiance du lieu est garantie. Après quelques km, nous faisons une première pause aux ruines de l'école primaire du village de Kosugidani, le plus grand et le plus prospère des villages de bûcherons de l'île tombé complètement à l'abandon depuis les années 70 à la fin de l'exploitation forestière dans cette zone. Il y coule une source où nous prenons quelques gorgées à la kuksa, cette coupe finlandaise taillée dans une seule pièce de bouleau (notre compère en possède une aussi).

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DSC07664Première souche monumentale : on pourrait mettre 10 personnes debout à l'intérieur, sans trucage !

Bientôt, le jour pointe le bout de son nez au dessus des montagnes et nous commençons à discerner les arbres de taille croissante qui nous entourent. Le bois des sugi de Yakushima est particulièrement riche en résine (de 10 à 40% de son poids), ce qui le rend exceptionnellement résistant à la décomposition. Ainsi, il est possible de trouver des restes de troncs et surtout de monumentales souches dont l'abattage remonte aussi loin que l'ère Edo. Comme il est désormais interdit d'abattre les yakusugi, une certaine forme de commerce a vu le jour à partir de ces résidus d'abattage et il est possible d'acheter des souvenirs en bois de yakusugi authentique moyennant un prix élevé ; et les œuvres d'art créées dans les formes noueuses de ces arbres sont sublimes.

DSC07665Après plus d'une heure de marche, le jour commence enfin à poindre au-dessus des montagnes

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Nous quittons ensuite les rails pour nous engager sur le trail proprement dit, qui quitte le fond de la vallée où nous marchons depuis le matin pour escalader les flancs boisés de la montagne. Ici commence le vrai spectacle...

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DSC07737Wilson stump, la souche la plus célèbre de l'île. Cet arbre de 3000 ans abattu il y a plus de 300 ans est toujours vivace : les 3 nouveaux troncs qui l'entourent en sont la preuve !

DSC07735Intérieur de Wilson stump, qui contient un autel shinto

DSC07733Le faîte de la forêt vu depuis l'intérieur de Wilson stump

Au fil de la montée, nous redoublons d'émerveillement devant l'impression de sagesse et de majesté qui se dégage de ces véritables monuments naturels qui nous entourent, certains plus vieux que la fondation de Rome.
Au moment de passer le tronc craquelé de 3000 ans du Daiosugi (l'Empereur), un brouillard épais nous tombe dessus en moins d'une minute. Ce changement d'ambiance nous donne l'impression d'être attendus, comme si à l'approche de son cœur la forêt cherchait à renforcer encore le climat de mystère qui l'entoure en se drapant dans ses robes de brumes.

DSC07774Daiosugi fut longtemps l'empereur de la forêt... jusqu'à la découverte du Jōmon sugi 

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giphy
Une transition parfaite pour aborder la dernière partie de l'ascension, où la pente se fait moins forte mais où notre progression est ralentie par l'étroitesse du sentier et les racines massives des arbres qui le traversent. Notre objectif n'est plus très loin, et bientôt les deux plateformes qui l'entourent surgissent à travers la brume. Son tronc creux empêche toute dendrochronologie et sa datation au carbone 14 divise les spécialistes, mais son statut ne fait pas de doute : voici le Jōmon sugi, doyen de la forêt. Faisant l'objet par le passé de légendes au sein de la population autochtone, peu l'ayant vu de leurs propres yeux en raison de sa situation inaccessible dans les montagnes, son existence tangible ne fut révélée qu'à la fin des années 60 par Teiji Iwakawa, un modeste employé municipal qui passa 7 ans de sa vie à sa recherche. La redécouverte de ce spécimen extraordinaire attira l'attention du gouvernement sur le sort du patrimoine de l'île et joua en la faveur de la mise en place de mesures de protection. Désormais beaucoup plus accessible depuis la création du trail, il requiert encore pas moins de 4 à 5h de rando rien que pour s'y rendre (sans réelle difficulté mais qui demande un peu d'endurance) et vous occupera donc pour la journée.

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Nommé Jōmon du nom de l'ère qui l'a vu naître (entre -13 000 et -400 av JC), mais aussi d'après sa ressemblance avec les poteries japonaises de cette époque, cet arbre énorme fait 16.4 m de circonférence près de sa base

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Derrière lui, le sentier continue à s'enfoncer dans les montagnes vers le point culminant de Yakushima, le Miyanoura dake, mais nous n'avons pas prévu de nous y aventurer aujourd'hui. En arrivant au pied du Jōmon, nous avions plus d'une heure d'avance sur le programme, aussi nous envisageons de la mettre à profit pour visiter Shiratani Unsuikyo. Pour y accéder, il nous faut refaire près des 2/3 du chemin que nous avons emprunté à l'aller.

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Retour à Wilson stump

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Cette vallée moussue qui jouxte celle que nous avons empruntée ce matin est encore plus célèbre que la randonnée qui mène au Jōmon, et pour cause : elle a inspiré Miyazaki pour réaliser la forêt de Princesse Mononoke. Comme ce détour n'était pas prévu, nous n'avons pas sur nous la carte de l'endroit et la bifurcation qui y mène s'avère un peu difficile à trouver. Heureusement que nous avons un Japonais dans l'équipe ! Dans une ambiance très différente, la vallée de Shiratani tient toutes ses promesses avec sa forêt toujours verte au milieu de l'hiver semée de rochers moussus et d'arbres aux formes étranges. Nous voulons grimper jusqu'au Taiko Iwa (le rocher du tambour), mais au lieu d'une vue panoramique c'est le paysage uniformément blanc de l'intérieur d'un nuage qui s'offre à nous yeux.

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DSC08003On ne voit pas grand-chose depuis Taiko Iwa...

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DSC08066La pluie a fait tomber une multitude de fleurs de camélia sauvage

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Notre journée s'achève vers 16h le long du torrent de Shiratani, qui cascade sur la roche brute en une série de bassins.

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Finir par Shiratani présente 2 avantages de plus : premièrement, la ligne de bus qui y circule n'est pas celle d'Arakawa, nous pouvons donc utiliser notre pass comme prévu ; deuxièmement, en arrivant par Kosugidani, nous ne sommes pas passés par le guichet d'entrée et aurons visité l'endroit sans payer !
Bien que mouillés et éreintés, nous finissons cette journée de tous les superlatifs le coeur content et des images plein la tête.

10 février 

Levés à une heure plus raisonnable que la veille, nous prenons le bus pour Yakusugi Land, un des endroits les plus visités de l'île en raison de ses randonnées familliales avec une concentration importante d'arbres âgés. Nous y revoyons un étudiant belge, Arthur, avec qui nous avons discuté la veille à l'entrée de Shiratani et qui après avoir monté Aso le même jour que nous, continue à marcher dans nos traces dans le sud de Kyushu ! Étrangement, nous nous retrouvons ainsi pour un deuxième jour consécutif à randonner avec un francophone alors que ça ne nous était pas arrivé une seule fois depuis le début de notre voyage.

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DSC08088Kigensugi a son propre arrêt de bus juste après Yakusugi Land

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Cet arbre est couvert de plus d'une dizaine d'espèces d'épiphytes (autres plantes qui poussent à même son tronc)

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Malgré son nom qui sent le piège à touristes, Yakusugi Land est un lieu intéressant à visiter pour la diversité des morphologies d'arbres qu'on y trouve mais aussi pour les panneaux d'information en anglais jalonnant le parcours qui permettent de mieux comprendre la biologie des sugi et la façon dont ils étaient utilisés. De plus, de nombreux sentiers de randonnée plus longs en partent, que nous n'avons pas eu le temps d'explorer.

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Des flashcodes bien intégrés au milieu de la forêt !

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Ce ne sont pas réellement des toilettes, mais juste un siège pour vous mettre à l'aise le temps de remplir vos toilettes portables (oui oui, si vous avez besoin de vous soulager il vous faudra transporter le tout dans un sac jusqu'à la fin de votre rando)

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Kugurisugi, cèdre sous lequel on peut passer (il y en a plusieurs)

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Nidaisugi, cèdre dit de 2ème génération ayant germé sur la souche d'un autre

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Notre départ est prévu pour le lendemain midi, alors quitte à devoir courir un peu, on tente un dernier truc pour la journée. Dans le Lonely planet, on a lu un paragraphe sur un onsen assez dingue une dizaine de km au sud de notre hébergement. Sitôt fini la visite, on saute dans le bus avec l'espoir d'arriver à temps, car on a tout juste une demi-heure sur place avant le dernier bus ou on risque d'y rester bloqués. Hirauchi Kaichu Onsen fait partie du club très fermé des onsen dits "sous-marins". Composé de 3 ou 4 cuvettes taillées à même le roc du rivage, sa particularité est la suivante : il n'est accessible que quelques heures par jour, car l'océan le recouvre complètement à marée haute ! Il est donc impératif de se renseigner sur les horaires des marées avant de s'y rendre. À savoir également, c'est un konyoku, c'est à dire un onsen mixte mais il est toléré pour les femmes de s'y baigner entourée d'une serviette. Pas de murs ni de clôture, tout est ouvert et l'entrée repose sur un système de donation (200¥ minimum).

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Un détour qu'on ne regrettera pas d'avoir fait même si on n'en profite que pour 10min environ, le temps d'y courir depuis l'arrêt de bus, de se déshabiller, de prendre quelques photos et de tout refaire en sens inverse.
11 février 
Nous consacrons notre dernière matinée sur l'île à la visite de la cascade d'Ohko-no-Taki, la plus haute de Yakushima (88m). En tout il y en a au moins 3 qui méritent le détour, et Alex aurait bien vu aussi celle de Senpiro-no-taki mais nous ne voulions pas jouer avec le temps au risque de louper notre ferry (fortement demandé par Nolwenn)

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DSC08260Bosquet de bananiers à Miyanoura

Le bus nous ramène ensuite à Miyanoura, où nous avons juste le temps d'acheter quelques souvenirs avant de faire nos adieux à Yakushima, qui restera longtemps dans nos mémoires comme un lieu très spécial au regard des journées incroyables qu'elle nous a offertes au sein de sa nature luxuriante.
Voir l'album photo complet ici
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