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Alexandre et Nolwenn autour du monde
22 février 2019

(1/4) Sur les chemins de Shikoku : un pèlerinage pas comme les autres

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Pendant la phase préparatoire de notre voyage, dès que nous avions découvert la possibilité de faire une demande de visa d'un an, nous avions envisagé de profiter de cette occasion pour visiter chacune des 4 îles principales de l'archipel. Le Honshu, Hokkaido et Kyushu s'imposaient d'elles mêmes comme des must-see ; en revanche, Shikoku, la benjamine, ne nous évoquait rien à première vue. C'est en feuilletant le guide Bleu dont nous ont fait don Sophie et Anaïs que nous apprîmes l'existence de son étonnant pèlerinage, dont l'origine remonte à plus de mille ans et auréolé d'un climat de mystère et de respect à travers tout le Japon. Son parcours de plus de 1000km qui fait le tour de l'île en 88 étapes de culte correspondant à 88 temples bouddhistes nous séduisit rapidement comme un moyen de la découvrir hors des sentiers battus en un délai raisonnable (la plupart des pèlerins l'effectuant en 30 à 45j à pied). L'automne serait la saison idéale pour mettre ce projet à exécution, soit dès notre arrivée au Japon. Par ailleurs, il nous serait facile de nous y rendre, Osaka étant située près d'un pont reliant le Honshu à la ville de Tokushima, point de départ traditionnel du pèlerinage. Notre été riche en randonnées constituerait également une bonne expérience préparatoire pour éprouver notre endurance et la résistance de notre matériel.

Après 2 semaines à Osaka, nous nous décidons à nous lancer, non pas sans avoir effectué une visite rituelle au mont Kōya, d'où selon la légende le moine Kūkai, figure tutélaire du pèlerinage, veille en méditation éternelle depuis son mausolée. De son voyage en Chine au 8ème siècle, il rapporte les enseignements du bouddhisme ésotérique qui trouveront un terreau fertile au Japon avec la fondation de son école Shingon de la "Parole Vraie". Il aurait également contribué à la diffusion de techniques chinoises dans les domaines de la calligraphie et de l'ingénierie et introduit une variété particulière de soupe de nouilles udon dans la province de Sanuki (nord-est de Shikoku) qui connaît encore un grand succès de nos jours. Son personnage extraordinaire aux pouvoirs surnaturels est plus connu sous son titre posthume de Kōbō Daishi (qui signife, en gros, "le grand maître qui répand le dharma = l'enseignement bouddhique") et nous accompagnera tout au long du pèlerinage comme un guide et un protecteur. Le Shikoku Henro vise, en effet, à amener le pèlerin vers l'illumination bouddhique en suivant les pas du saint homme, dont il retrace littéralement le parcours autour de son île natale. Tout au long du chemin, c'est une multitude d'anecdotes et de traces de son passage qu'on est invité à découvrir, contextualisant par là la vie d'ascèse du maître et renforçant ses enseignements par l'expérience pratique de ce mode de vie. Ayant commencé le pèlerinage avec beaucoup de recul, en se réservant la possibilité d'arrêter en cours de route, nous nous prendrons très vite au jeu, en faisant bientôt l'acquisition non seulement du bâton qui représente Kōbō Daishi mais aussi de vestes de henro que nous ferons tamponner des sceaux des temples (environ 1/3 d'entre eux à nous deux).

NB : pour une synthèse de toutes les informations pratiques concernant notre expérience du pèlerinage (comment on s'est organisés, a trouvé nos logements, avec le récapitulatif jour par jour de nos déplacement ainsi que le budget) se référer à notre article dédié.

 

Tokushima, Dōjō de l'Eveil spirituel

2 novembre

Après 2h30 de bus au départ d'Osaka, nous arrivons à Tokushima sur l'île de Shikoku. A la gare, nous partons à la recherche du meilleur ami du pèlerin, le Shikoku Japan 88 Route Guide, un petit livre en anglais qui contient des cartes très précises du circuit ainsi qu'une foule d'informations utiles. Il ne coûte même pas 2000¥, moins de 15€ ! Un investissement bien minime par rapport à son importance : tous les pèlerins étrangers que nous croiserons en possèdent un exemplaire, parfois de l'édition 2017 alors que nous aurons eu la chance de mettre la main sur la toute dernière version. Les Japonais, quant à eux, ont recours à leurs propres cartes, souvent pas orientées au nord ce qui suscitera toujours quelques instants de flottement au moment de comparer nos itinéraires. Nous avons réservé un hôtel et consacrons notre après-midi à la planification de nos premiers jours de pèlerinage avant de commencer l'aventure dès le lendemain matin.

DSC04757Sur le pont qui traverse la mer direction Tokushima

DSC04757APlus qu'un livre de chevet, à la fois bible et compagnon de tous les instants tant que durera le pèlerinage...

 

1er jour de pèlerinage

La ville de Tokushima concentre à elle seule un grand nombre de temples : on y trouve près d'une quinzaine si on prend en compte les agglomérations attenantes qui forment avec elle un unique ensemble urbain. Le temps de rejoindre le Ryozenji, il est déjà près de 11h du matin, et c'est à une allure soutenue que nous visiterons les 6 temples suivants au cours de cette première journée de marche de 23km à travers la périphérie de la ville.

DSC04923Les quais du one-man (ワンマン), moyen de transport omniprésent dans les campagnes de Shikoku. Ce train local est conduit par un seul homme qui fait généralement à la fois office de conducteur et de contrôleur, les gares étant souvent dépourvues de portique et de personnel

DSC04763Entrée du 1er temple, le Ryozenji

Au temple 3, des bénévoles nous accostent pour nous remettre notre premier osettai (don offert traditionnellement aux pèlerins) sous la forme d'une bouteille de thé vert et d'un anpan (brioche farcie à la pâte de haricots rouges) par personne. Nous bénéficions d'un temps ensoleillé qui est bien agréable pour marcher. Sur cette vaste plaine côtière les terrains agricoles s'enchevêtrent avec le tissu urbain ; la vue porte loin sur les montagnes environnantes et nous longeons constamment canaux, rizières, et champs de cosmos en fleur. Des arbres chargés d'impressionnantes quantités de kakis de tailles et de formes différentes sont visibles partout.

DSC04784Le temple 4, Dainichiji

 DSC04797   DSC04807

Des vergers entiers de kakis, que certains particuliers suspendent pour les faire sécher : pratique courante dans la région, mais devenue rare dans le reste du Japon

Juste avant le temple 10, un couple nous propose de monter dans leur voiture minuscule pour faire à peine 1km jusqu'à l'allée qui monte vers le temple. Nous nous arrêtons à la boutique Sumotori-ya qui le précède où sont vendus des articles destinés aux pèlerins : nous y achetons un bâton de henro (kongōzue) pour un peu moins de 2000¥. Celui-ci constitue un appui à la fois physique et spirituel : en plus d'être un atout indéniable sur les parties escarpées du parcours, il matérialise la présence de Kōbō Daishi aux côtés du henro (ce qui explique en partie le respect considérable accordé par les gens de Shikoku aux pèlerins, sans distinction d'origine : en saluant le henro, on salue en même temps O-Daishi-sama) et le son de sa clochette est censé éloigner de l'esprit les préoccupations inutiles. C'est à juste titre le plus fidèle compagnon du pèlerin et la tradition exige de lui accorder un traitement particulier, comme de le mettre au repos avant de songer à son propre confort à la fin de chaque journée (il est conseillé de la placer en hauteur si possible et de le remercier par la formule « Namu Daishi Henjo Kongo ») et de ne pas le retailler avec une lame mais plutôt avec une pierre, car son extrémité s'effiloche au fil des km. Un seul bâton suffira pour nous accompagner tous les deux et nous permettre d'être identifiables en tant que henro ; Alex le portera car Nolwenn dispose déjà d'une paire de bâtons Quechua offerte par ses parents. Pour nos 2 premières nuits, nous faisons étape en Henro House.

DSC04803On s'incline comme le veut la coutume avant de passer la porte des temples, ici celle du 7 (Jurakuji) 

DSC04816Pagode du Kumadaniji (temple 8)

DSC04812Chambre traditionnelle dans notre première Henro House

DSC04820AOsettai "open bar" au bord du chemin

DSC04823

 

3ème jour

Rompant la monotonie de la vallée de Tokushima, cette nouvelle journée nous met face à notre premier henro korogashi (littéralement « là où le pèlerin tombe »), sections difficiles où l'itinéraire quitte l'asphalte pour des chemins de terre escarpés montant à travers la forêt vers des temples isolés, au sein de cadres grandioses. Les lieux où ces sentiers nous mènent nous raviront souvent tout autant (si ce n'est plus) que les temples eux-mêmes, et, une fois la pénible ascension terminée, font naître en nous pendant quelques instants cette sensation d'accomplissement et d'apaisement caractéristique du pèlerinage. Le korogashi entre les temples 11 et 12 (Fujiidera et Shōsanji) est réputé pour être un des plus éprouvants de l'île ; d'après la légende c'est ici qu'Emon Saburō, la première personne à avoir emprunté les chemins qui deviendront Shikoku Henro, se serait effondré avant de mourir alors qu'il entamait son 22ème circuit. Sa difficulté tient au fait qu'il escalade deux sommets différents entre lesquels il faut tout redescendre ; la chaleur y est écrasante mais la forêt nous offre un couvert protecteur.

DSC04847

DSC04848Vue sur Tokushima depuis les hauteurs

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DSC04899Allée de sugi, cèdres monumentaux japonais à l'entrée du Shōsanji (n°12)

Nous n'avons pas intérêt à traîner car notre arrivée en temps et en heure au camping où nous avons fait une réservation pour la nuit dépend de notre présence à 16h30 de l'autre côté des montagnes. De plus, le soleil qui se couche toujours aussi tôt (vers 17h) écourte d'autant nos journées de marche. Chemin faisant, nous faisons la connaissance de 2 autres henro d'origine étrangère : un israélien et une singapourienne, Yee-Ling. Le premier envisage de faire le pèlerinage complet ; l'autre prévoit de s'arrêter vers le temple 22. Cette rencontre nous est bien utile car la logeuse de Yee-Ling, qui habite au village au pied de la montagne du Shōsanji, nous propose de nous emmener au onsen (bain public traditionnel), nous rapprochant en même temps du camping où nous avons prévu de passer la nuit. Nous ne manquons pas d'aller nous y délasser une fois la tente montée. C'est notre premier essai depuis notre arrivée au Japon et il est très concluant, passé la gêne de devoir se baigner complètement nus. Le camping, en revanche, est décevant si ce n'était pas pour son prix (2000¥) : pas de coin cuisine et au lieu d'herbe c'est sur une surface de gros graviers que nous avons dû poser la tente.

Les jours suivants, grâce à notre statut de henro nous recevons plusieurs osettai, dont d'une dame qui nous achète un repas complet à tous les 2 au Michi no eki (aire de repos en bord de route) et d'un producteur d'agrumes qui nous remplit les poches de mikan (mandarines) fraîchement cueillies.

DSC04899AUn de nos plus beaux osettai

DSC04915Jorakuji (n°14)

DSC04931Grenouille zen au Onzanji (n°18)

DSC04945On cherche notre chemin dans une forêt de bambous en périphérie de Tokushima

La saison de la récolte de ces fruits touchant à peine à ses débuts, nous en profiterons bien, et tout comme les kakis ils représenteront une précieuse source d'énergie pour parcourir les centaines de km qui nous attendent. Nous logeons bientôt au zenkonyado, hébergement offert gratuitement aux henro par des particuliers, puis au minshuku, sorte de chambre d'hôtes. Le temple 19 constitue le premier des 4 verrous spirituels du pèlerinage (un par préfecture) : d'après la tradition, Kōbō Daishi y examine les motivations de chacun, et met éventuellement hors-course les indignes. La légende rapporte ainsi le cas d'une femme ayant assassiné son mari dont les cheveux, au moment de prier, se retrouvèrent emmêlés à la corde de la cloche du temple : reconnaissant son crime, elle demanda pardon et se fit nonne à cet endroit. Nous y achetons 2 vestes de henro ainsi que notre première liasse d'osamefuda, morceaux de papier utilisés par les pèlerins depuis les origines pour attester de leur passage dans chacun des temples. Les deux suivants, que nous visitons au cours d'une même journée, sont perchés sur des sommets couverts de sugi au calme irréel. Ils sont magnifiques : nous faisons tamponner de leurs sceaux nos vestes récemment acquises, grue pour l'un, dragon pour l'autre.

DSC04956Tatsueji (temple 19)

DSC04963   DSC04963AChambre et repas du soir au minshuku

DSC04977Kakurinji (temple 20)

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DSC05019Tairyuji (temple 21)

DSC05027Statue de Kukai sur le Shashingatake au-dessus du Tairyuji

 

7ème jour

Faisant confiance aux expériences d'autres pèlerins, nous nous sommes essayés à dormir dehors. Shikoku dispose d'une grande variété d'abris possibles, dont seulement une petite centaine ("huttes" ouvertes sans porte) ont été bâtis spécifiquement pour les henro, mais il est parfaitement toléré de passer la nuit dans les arrêts de bus et les parcs (sous des abris formés de 4 piliers avec un toit au-dessus). Les parkings des Michi no eki font aussi partie des spots possibles, à condition de demander l'autorisation avant et de s'installer après la tombée de la nuit. Nous passons ainsi deux nuits pluvieuses consécutives à l'extérieur.

DSC05028Au matin après notre première nuit dehors (hutte de Asebi, numérotée 3)

DSC04996Ici, les ruisseaux regorgent de crabes d'eau douce. Par temps pluvieux, ils sortent de l'eau par dizaines pour traverser les chemins, nous obligeant à redoubler d'attention où nous mettons les pieds

En quittant l'aire d'influence de Tokushima, la route oblique vers le sud, longeant l'océan Pacifique sur lequel elle offre de superbes vues. Cette section est particulièrement déserte non seulement en matière de temples, mais aussi de konbinis et d'endroits où dormir. Pour simplifier les choses, et aussi parce que nous sommes fatigués des jours précédents où nous avons parcouru beaucoup de km avec beaucoup de dénivelé, nous combinons donc marche et train, lequel traverse une enfilade presque ininterrompue de tunnels côtiers. Au temple 23, nous nous écartons de la route principale pour suivre l'itinéraire secondaire en un très joli détour qui surplombe l'océan à travers une forêt côtière peuplée de singes mais qui nous épuise avec ses montées et ses descentes abruptes.

DSC05028A      DSC05042

Yakuōji, temple 23

DSC05053   DSC05070

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Nous finirons in extremis en attrapant le dernier train du jour jusqu'au camping de Kamura, en bord de mer où nous arrivons 10min avant la fermeture. Ici encore pas de cuisine et les douches sont celles de la plage, mais le lieu est plutôt sympa et on peut planter la tente sur l'herbe. Demain, nous quitterons la préfecture de Tokushima pour aborder la longue côte sud de l'île.

DSC05113Le camping de Kamura

 Suite article ici

Voir l'album photos complet ici

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